L’ÉTERNELLE JEUNESSE DE CHARLES BAUDELAIRE

L’ÉTERNELLE JEUNESSE DE CHARLES BAUDELAIRE


Baudelaire était un admirateur de Théophile Gautier, comme le bon Théo l’était de l’auteur des Fleurs du mal. Dans ce dernier recueil, dans une édition de 1868, on trouve, en préface, un bel éloge et un beau portrait de Baudelaire par Gautier :

 

La torture des passions

« Il est rare qu’un poète, qu’un artiste soit connu sous son premier et charmant aspect. La réputation ne lui vient que plus tard, lorsque déjà les fatigues de l’étude, la lutte de la vie et les tortures des passions ont altéré sa physionomie primitive ; il ne laisse de lui qu’un masque usé, flétri, où chaque douleur a mis pour stigmate une meurtrissure, une ride. C’est cette dernière image, qui a sa beauté aussi, dont on se souvient. »
Mais Gautier préfère nous peindre le portrait d’un Baudelaire tel qu’il l’a rencontré alors qu’il avait 28 ans.

DES YEUX COULEUR DE TABAC D’ESPAGNE

« La première fois que nous rencontrâmes Baudelaire, ce fut vers le milieu de 1849.
Son aspect nous frappa : il avait les cheveux coupés très raz et du plus beau noir ; ces cheveux, faisant des pointes régulières sur le front d’une éclatante blancheur, le coiffant comme un espèce de casque sarrasin ; les yeux, couleur de tabac d’Espagne, avaient un regard spirituel, profond, et d’une pénétration peut-être trop insistante ; quant à la bouche, meublée de dents très blanches, elle abritait, sous une légère et soyeuse moustache ombrageant son contour, des sinuosités mobiles, voluptueuses et ironiques comme les lèvres des figures peintes par Léonard de Vinci ; le nez, fin et délicat, un peu arrondi, aux narines palpitantes semblait subodorer de vagues parfums lointains ; une fossette vigoureuse accentuait le menton comme le coup de pouce final du statuaire ; les joues, soigneusement rasées, contrastaient, par la fleur bleuâtre que veloutait la poudre de riz, avec les nuances vermeilles des pommettes. »

CHARLES LE GENTLEMAN

« Le cou, d’une élégance et d’une blancheur féminines, apparaissait dégagé, partant d’un col de chemise rabattu et d’une étroite cravate en madras des Indes à carreaux. Son vêtement consistait en un paletot d’une étoffe noire lustrée et brillante, un pantalon noisette, des bas blancs et des escarpins vernis, le tout méticuleusement propre et correct, avec un cachet voulu de simplicité anglaise et comme l’intention de se séparer du genre artiste… Charles Baudelaire appartenait à ce dandysme sobre qui râpe ses habits avec du papier de verre pour leur ôter l’éclat endimanché et battant tout neuf, si désagréable pour le vrai gentleman. »

UN ÉGARÉ DANS LA BOHÊME

« Baudelaire se piquait de garder les plus étroites convenances, at sa politesse était excessive jusqu’à paraître maniérée, ce qu’elle n’était pas. Il mesurait ses phrases, n’employait que les termes les plus choisis, et disait certains mots d’une façon particulière, comme s’il eût voulu les souligner et leur donner une importance mystérieuse. Il avait dans la voix des italiques et des majuscules initiales.
Ses gestes étaient lents, rares et sobres, il avait horreur de la gesticulation méridionale. C’était un dandy égaré dans la bohème, mais y gardant son rang et ses manières. »

L’HOMME QUI VOLTIGEAIT SUR LES PARFUMS

« Baudelaire avait l’habitude d’appuyer, en parlant, son index contre sa tempe ; ce qui est, comme on sait, l’attitude du portrait de l’humoriste anglais, placé au commencement des œuvres du poète dont « l’âme voltige sur les parfums, comme l’âme des autres hommes voltige sur la musique. »

Article paru dans la presse : Contrepoints

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