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Fais-moi ma dissert !

Gabrielle Dubois auteure femme

Hier, sur mon Instagram @gabrielleduboisthestoryteller, j’ai reçu un message privée d’une personne que je ne connaissais pas, à laquelle je n’étais pas abonnée et qui n’était pas abonnée à moi.

Attendez, avant de continuer mon histoire, je dois vous dire que je reçois une fois par semaine des messages privés d’hommes que je ne connais, messages que je refuse maintenant sans avoir même regardé de quoi il s’agit, parce qu’ils sont tous du genre :
« Hello sweetie ! » ou « Nice to meet you, beautiful ! »
Et, ne me demandez pas pourquoi, tous ces messages proviennent en majorité de gradés de l’armée américaine dans la cinquantaine et soixantaine, suivis de près par des médecins et autre cols blancs… d’après la photo de profil qu’ils présentent !
Pourquoi ces hommes semblent attirés par mon profil sur lequel je ne parle que de mes lectures d’auteurs du 19ème siècle, où je ne poste que des photos de livres ?
Comment voulez-vous que je le sache ! Je n’ai pas de temps à perdre avec ça, je les mets directement dans ma poubelle où ils doivent peut-être parler eux, je ne sais pas !

Donc, hier, j’ai reçu ce message privé venant manifestement d’une jeune fille. Avant d’ouvrir son message, je vais jeter un coup d’œil à sa page Instagram. Manifestement, c’est une mignonne lycéenne qui se présente avec ses amies, en tenue de sport, à la terrasse d’un café… un peu m’as-tu vue, mais c’est dans l’air du temps. Bref, tout ça me semblait bien inoffensif, donc, j’ouvre son message (Je vous transcris la conversation qui était en anglais) :

« Salut ! Grâce à votre hashtag #callmewoman, j'ai vu que vous avez lu le livre d'Ellen Kuzwayo. Je suis une lycéenne danoise et je dois faire un devoir avec ce livre. Mais je n'ai pas le temps de le lire. Si vous avez 10 minutes pour répondre rapidement à la question suivante, vous me sauveriez la vie ! Les questions sont les suivantes :
- Est-ce qu'Ellen Kuzwayo essaie de convaincre quelque chose dans le livre ?
- Comment essaie-t-elle de présenter certains problèmes ?
Merci pour votre aide »

Là, abasourdie par tant d’audace, j’éclate de rire !
J’ai effectivement lu ce témoignage incroyable et poignant et intéressant de Ellen Kuzwayo, le livre en français a pour titre Femme et Noire en Afrique du Sud et j’ai parlé sur www.gabrielle-dubois.com il y a un an.
Je relis le message : cette charmante lycéenne me demandait de lui faire son devoir, ni plus ni moins ! Il aurait donc fallu que je relise le livre pour répondre à ses questions, parce que depuis, beaucoup d’autres livres sont passés par-dessus.

Je lis à ma fille, 19 ans, étudiante, confinée à la maison pour cause de pandémie et je lui dis :
― Jamais, si Internet et les réseaux sociaux avaient existé quand j’étais au lycée, je n’aurais osé demander à une inconnue de faire mes devoirs à ma place ! Je n’en reviens pas ! Et d’un côté, j’admire cette audace, cette tranquillité naïve des jeunes d’aujourd’hui qui ne se gêne pas pour tout demander.
― Elle a eu une bonne idée, maman, me répond ma fille. Dommage que je ne l’ai pas eue quand j’étais au lycée. Elle a raison d’essayer, si ce n’est pas toi, je suis sûre qu’une personne répondra à ses questions !

Cela me donne à réfléchir. Cette lycéenne, de sexe féminin, manifestement métisse de Noir et de Blanc, a tout pour être intéressée par le sujet de ce livre. Il serait dommage qu’elle ne le lise pas. Alors je lui répond :

« Chère ***,
Jamais un message privé ne m’a fait autant rire ! Vous êtes trop mignonne !
J’ai deux enfants de 19 et 20 ans, alors, je ne me fâche pas de votre culot et je m’amuse de votre naïveté.
J’ai écrit ma critique de ce magnifique livre sur www.gabrielledubois.net en août dernier. Tu peux la lire, mais elle ne répond pas précisément à tes deux questions et… moi non plus, je n’ai pas le temps d’écrire ta dissertation sur ce livre, mais :
Je crois vraiment que tu devrais « prendre le temps » de le lire.
Au-delà du problème particulier de l’Afrique du Sud à l’époque où Ellen Kuzwayo y a vécu, son histoire de femme s’étend à l’histoire de toutes les femmes du monde, à ton histoire personnelle, toi, jeune fille du 21ème siècle qui, d’après ton profil Instagram que je viens de regarder rapidement, fait partie des « privilégiées » de ce monde. Je veux dire que tu sembles avoir accès à l’eau potable chaude et froide, être vêtue correctement, être libre de tes mouvements… et de tes pensées.
Lis ce livre, ***, fais-en une critique, réponds à ces deux questions. Peu importe si tu te trompes, si la note que le prof te donnera n’est pas à la hauteur de ton effort. Toi, tu auras utilisé ton cerveau pour le comprendre, ton cœur pour compatir à la cause des femmes qui est aussi la tienne, là où tu vis et maintenant. Quelle que soit la vie, le témoignage, l’histoire, il est important que ce soit enfin raconté par les femmes elles-mêmes et non raconté par les hommes.
Tu es plus qu’une jolie fille, ***, montre aussi ton cerveau et ton cœur.
Je suppose que je t’ai embêté comme un parent avec des idées de vieux, mais si tu lis cette phrase, c’est que tu es arrivée jusque-là et donc que tu as dû penser qu’il doit y avoir un fond de vérité dans ce que je viens de te dire !
Si tu te décidais à lire cet incroyable livre et à écrire ce que tu en penses, dis-le moi, cela me fera plaisir de te lire,
Tu peux le faire,
Gabrielle »

 

Et je clique : Envoyer !
On verra bien. *** se vexera-t-elle ? Jettera-t-elle mon message et basta ? Pensera-t-elle : « Quelle vieille schnock, on dirait mon prof ! »
Oh, euh, pour les jeunes qui me lisent, schnock veut dire vieil imbécile un peu fou. Je précise parce que mes enfants me disent toujours que j’emploi des mots qu’ils n’ont jamais entendu… j’ai tendance à penser que c’est parce qu’ils ne m’ont que peu écoutée, mais ça, c’est une autre histoire ! 😊

Une heure après ― *** devait être en cours ― une réponse m’arrive :
« Salut Gabrielle,
Merci pour votre gentille réponse. Je suis heureuse que mon message vous ait fait rire :-) Vous m'avez vraiment inspiré et motivé ! Je vais certainement essayer de trouver le temps de lire le livre ― je suis sûr qu'il est beau et touchant ! Et je vous remercie de m'avoir envoyé le lien vers votre critique du livre !
Je vous le ferai savoir si j'écris ce que j'en pense :-)
*** »

Moi :
« Eh bien, vous savez, c'est une femme noire qui vit dans l'apartheid... évidemment elle est totalement contre !
Vous êtes futée, ***, vous essayez de me faire répondre à vos questions ! Ok, je vous dis quelques trucs et vous lisez le livre.
Il me semble que dans la première partie du livre, Ellen Kuzwayo raconte sa jeunesse, avant l'apartheid. Ensuite, elle explique comment et quand l'apartheid a commencé. C'est facile et rapide à lire. Ensuite, elle raconte sa vie personnelle pendant l'apartheid et à l'âge adulte, mais sa vie personnelle est liée et influencée par l'apartheid.
Mais, autant que je me souvienne, parce que beaucoup de livres depuis, elle n'est pas contre les Blancs. Elle a un grand cœur et un grand esprit et elle voit au-delà de la question des Noirs et des Blancs, au-delà de la politique. Elle s'intéresse beaucoup et surtout à la condition des femmes. Car elle a observé que même si les Noirs obtenaient des droits égaux à ceux des Blancs, les femmes noires seraient toujours "en dessous" des hommes.  Si vous voulez en savoir plus, lisez également The Wrong Kind of Women de Naomi McDougall Jones qui est sorti il y a quelques semaines. Mon avis sur www.gabrielledubois.net

Faites-le, c'est passionnant et facile à lire !

Réponse de *** :
« Bon, on dirait qu'elle ne fait que décrire sa vie et la condition des femmes. Je vais aussi jeter un œil sur l'autre livre !
Mais merci beaucoup Gabrielle ! Je vous souhaite une très bonne journée, ️ ️
*** »

Alors, pourquoi je vous raconte cet échange de messages privés ? Pour trois raisons :

Tout d’abord pour vous dire que je trouve qu’Internet est formidable !
Alors oui, ma vieille maman ne voit que les dangers d’Internet et de ses réseaux sociaux et il y en a. Mais ni plus ni moins que dans la « vraie vie ». Les réseaux sociaux ne sont pas une entité à part, ils sont nous, les humains, ils ne reflètent que nous, les humains. À nous de nous efforcer, tout comme dans la « vraie vie », de s’y montrer respectueux et bons. À nous d’y neutraliser, comme dans la « vraie vie », les mauvaises actions ou les mauvaises personnes.
Je trouve que quand Internet peut servir à deux personnes de pays différents, de cultures différentes, de générations différentes, à communiquer entre elles, c’est merveilleux !
Car, non, je n’aurai certainement jamais plus aucun contact avec cette lycéenne qui n’a « pas la temps de lire » ! Même si elle ne lit pas le livre et se débrouille autrement pour faire son devoir ― ce qui, à mon avis, démontre qu’elle n’est pas en manque de ressources ! ― un jour où elle aura fait le tour des activités possibles coincées en confinement chez ses parents, ou peut-être dans dix ou vingt ans, même sans se souvenir de cette conversation, elle se mettra peut-être à lire ce livre ou à penser ou agir avec compréhension dans une certaine situation, parce qu’il y aura eu cette minuscule échange positif qui, parmi tant d’autres qu’elle aura dans sa vie, forgera ce qu’elle sera.
Comme le dit Ellen Kuzwayo :
« Une personne est une personne à travers une autre personne. Vous êtes ce que vous êtes grâce aux personnes qui vous sont proches. »
À chacun de nous de choisir ses proches et quelle petite partie de leur âme on laisse pénétrer la nôtre.

Ensuite, je vous ai raconté cette histoire pour vous dire : Lisez les femmes ! Pourquoi ?
Parce que : Le monde ne tourne pas rond ? Un microscopique virus ébranle le système politique et économique mis en place depuis des milliers d’années ? Quel autre système pourrait voir le jour pour remplacer celui-ci ? Je ne sais pas. Mais je crois qu’une solution plus humaine, plus compréhensive peut exister. Je crois que plus on s’imprégnera de la vision des femmes, plus on créera d’harmonie dans nos rapports hommes-femmes, dans nos rapports humains, plus on sera à même de créer, naturellement, un  autre monde, une autre façon de vivre et de gérer nos affaires.

Et parce que : avez-vous tant de choses à faire que ça, coincées en quarantaine dans vos maisons, que vous n’ayez le temps de lire les auteures femmes ?

Et enfin, je dois bien l’avouer, je suis un peu satisfaite de cette petite victoire personnelle : comme quoi, avec un peu de gentillesse et de compréhension, on peut arriver à de surprenants résultats. Comme quoi un bras de fer viril n’est pas toujours ― jamais même, oserais-je dire ― la solution.
Ceci dit, j’ai mes jours aussi… je ne suis qu’une humaine !

Allez, bises à toutes (et tous), portez-vous bien et… lisez !©
Gabrielle Dubois

PS : Le jour où j'ai pris la photo, il y avait un vent terrible... d'où mon très seyant casque de cheveux !

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