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Simone de Beauvoir, Pourquoi je suis une féministe, 7

Simone de Beauvoir, Jean-Paul Sartre

Interview télévisée de 1975 sur iT1, émissions Questionnaire,

Extrait #7

Question :
Autrement dit l’idée c’est de dire : s’il y a la révolution et que la société change, automatiquement, la situation des femmes changera ?

Simone de Beauvoir :
Oui. Et je dois dire que moi-même, en 1949, quand j’ai écrit Le Deuxième Sexe, j’étais un peu dupe de cela. Je croyais qu’il fallait surtout militer pour la révolution, puisque moi je suis tout à fait de gauche et par conséquent je souhaite un changement complet du régime, un renversement du capitalisme, mais je pensais qu’il suffisait de ça pour que la situation de la femme devienne l’égal de celle de l’homme. Et je me suis aperçue que je me suis bien trompée car ni en URSS (lien ) ni en Tchécoslovaquie ni dans aucun pays socialiste, ni dans les partis, précisément pas dans le parti communiste, ni dans les syndicats, ni même dans les mouvements gauchistes les plus d’avant-garde d’aujourd’hui, le sort de la femme n’est le même que celui de l’homme. C’est ce qui m’a décidé à devenir ce que j’appellerais proprement féministe et d’une manière assez militante. être militante c’est par exemple venir parler aujourd’hui du féminisme à toutes les femmes qui veulent bien m’écouter. Eh bien, j’ai compris qu’il y avait une lutte spécifiquement féministes et que la lutte contre les valeurs disons patriarcales en gros, ne se confondait pas avec la lutte contre les valeurs capitalistes. À mon avis, il faut mener les deux luttes ensemble. Il n’est pas question, il n’est pas possible que le sort de la femme change profondément si la société d’autre part, ne change pas profondément sur le plan de la lutte des classes. Mais il serait illusoire de penser que la lutte des classes suffira jamais à étayer la lutte des femmes. Il faut qu’il y ait une lutte qui soit spécifiquement menée par les femmes. C’est pourquoi des mouvements qu’on trouve souvent ridicule comme le MLF, le Mouvement de Libération des Femmes, nous sommes un mouvement absolument nécessaire dans la société d’aujourd’hui.

Question :
Donc vous voulez dire que le féminisme, par exemple, a son rôle à jouer dans la société où nous vivons tous les deux, mais aussi par exemple dans les pays communistes où pour le moment il n’existe pas ?

Simone de Beauvoir :
Oui. C’est-à-dire que dans les pays communistes je ne pense pas que les femmes aient précisément la possibilité de créer des mouvements analogues au Mouvement de la Libération des Femmes (lien ). Mais si ça pouvait se faire, ce serait bien utile parce je pense que ce mouvement est utile à beaucoup de titres. D’abord, une des idées du MLF, c’est que les femmes se rassemblent entre elles, se parlent entre elles et que ce qui est vécu au foyer souvent dans l’acrimonie, dans le ressentiment, parce que les femmes au foyer ne sont pas toujours tellement des anges du foyer et tellement douces et ça, justement, parce qu’elles ressentent l’injustice qui leur est faite. Eh bien, au lieu de vivre cette injustice dans une récrimination individuelle et stérile, il vaut beaucoup mieux que les femmes se parlent entre elles de leurs problèmes, entre elles et non pas devant ou avec les hommes, et qu’elles essaient de trouver des solutions. Ça leur épargnerait certainement beaucoup d’aigreur et ça leur permettrait de prendre vraiment conscience de leur situation, de réfléchir dessus. Et quand elles auront bien réfléchi, je crois qu’elles auront toutes envie de s’unir pour la changer ce qui serait une chose profondément utile et qui pourrait avoir des répercussions immenses pour changer la société dans son ensemble.

Gabrielle Dubois©

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Vers le #8 Simone de Beauvoir

 

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