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Mary Elizabeth Braddon, Aurora Floyd

Aurora Floyd, Mary Elizabeth Braddon

 

Les romans à suspens ne sont pas le genre de romans que j’aime, je m’explique : un secret ou un mystère révélé à la dernière page du roman m’agace. En tant que lectrice, je passe des heures de lectures dans l’ignorance du pourquoi et du comment de l’histoire. Les personnages agissent sans que je sache le pourquoi de leurs agissements. Je trouve cela sans intérêt. J’avais lu La Dame en Blanc de Wilkie Collins et cela m’avait fortement ennuyée. D’autant plus que chez lui, la psychologie et compréhension des personnages, des femmes surtout, n’était pas brillante.

Avec Aurora Floyd de Mary Elizabeth Braddon on est gâtées par sa compréhension de ses personnages, hommes comme femmes. L’auteure comprend comment ils fonctionnent et c’est un plaisir ! Ensuite, elle nous sert une belle analyse de la société, par petites touches discrètes mais ô combien révélatrices ! Et elle nous régale d’un humour fin et d’une belle écriture. Et enfin, si le secret est révélé aux deux tiers du roman, le suspense reste jusqu’à la fin du livre : sachant le secret, comment tous les personnages vont-ils réagir et se dépatouiller de la situation ? Le bien et l’amour vont-ils triompher d’autant plus qu’événements tragiques et rebondissements inextricables surviennent encore ?

Eh bien, je vais vous le dire… non mais sans blague, vous croyez vraiment que je vais vous le dire ?

William Thackeray, dont je n’ai lu que le trèèèès long Vanity Fair, dans lequel il montre son inexistante compréhension des femmes, dit de l’auteure Mary Elizabeth Braddon : "Si j’étais capable d’inventer des intrigues comme Miss Braddon, je serais le plus grand écrivain anglais." M. Thackeray, vous appelez cela un compliment ? Vous êtes bien un homme de votre temps ! Ce que vous auriez dû dire, c’est quelque chose comme : "Les intrigues de Miss Braddon font d’elle le plus grand écrivain anglais." Ah, mais que la supériorité d’une femme est inconcevable à certains hommes, à quasiment tous les hommes de l’époque de Mary Elizabeth Braddon ! Comme cela devait être frustrant pour des femmes brillantes comme l’auteure, de n’être qu’une femme qui écrit un roman comme on dirait d’elle qu’elle écrit sa liste de courses !

John Mellish a été heureux de sa naissance à ses trente-deux ans. Braddon le répète assez souvent. Insouciant, inconséquent, il a toujours vécu dans l’opulence, sans jamais avoir à s’inquiéter de choses matérielles ou immatérielles. Sa fortune est si grande, qu’il n’a pas besoin de tenir des comptes serrés pour l’économiser ou la faire perdurer. A-t-il eu des maîtresses avant de connaître Aurora ? ce n’est pas dit. Mais c’est plus que probable, Braddon ne dit pas non plus qu’il est niais. C’est un brave homme qui n’a jamais eu à se poser de question ni sur lui ni sur la vie. Sa vie est une évidence. Une pensée qui ne l’a jamais effleuré : se demander comment il se fait qu’il ait autant de privilèges : financiers (il a un immense domaine), naturels (il a une bonne santé et un physique correct) et, par-dessus tout, être un homme dans une société et un temps où les hommes sont au sommet de l’échelle sociale sans discussion possible.

John Mellish est à l’aise dans sa vie : il est né riche et propriétaire, de parents riches et propriétaire, il trouve cela tout à fait normal. Son intelligence moyenne l’empêche de s’en faire la remarque.

Aurora Floyd, bien que de richesse égale, évoluant dans la même société, est tout à fait différente. Son père est un riche banquier, certes, mais sa mère n’était qu’une actrice populaire, autrement dit, en tant que actrice de bas étage, venant d’un milieu pauvre, et femme, elle se trouvait au plus bas de l’échelle sociale. Aurora est belle, riche, intelligente, bonne, mais cela n’est pas une garantie de suivre le « droit chemin » que la société a tracé pour elle. D’une part parce qu’elle est, elle, Aurora, non pas une des représentantes de l’idéal de la femme tel que le souhaitent les hommes de sa société : douce, docile, future épouse et mère. D’autre part parce qu’elle a été élevée en liberté :

« Aurora, comme disait sa tante, avait grand besoin d’une personne accomplie et vigilante, qui aurait soin de discipliner cette plante pleine de sève qu’on avait laissée croître comme elle l’avait voulu depuis son enfance. Il fallait tailler le bel arbrisseau, l’émonder, l’attacher symétriquement aux murs de pierre de la société avec des clous cruels et des bandes de drap enchaînantes. »

Aurora n’est pas qu’une façade. Elle est une jeune femme qui a soif de vivre, d’expérimenter la vie. Et elle commet ce que la société appelle une erreur. C’était une erreur, mais pour elle seule. Elle s’en est d’ailleurs rendu compte très vite et s’en est éloignée. Elle en sera affectée toute sa vie dans sa chair et dans son cœur. N’est-ce pas suffisant ? Ce qui n’aurait dû être qu’une expérience de vie personnelle, devient un handicap à vie dans une société qui veut codifier, légiférer, dicter tous les actes privés jusqu’à ce qu’ils deviennent des blâmes entachant une vie entière. Pauvre Aurora qui s’accuse d’avoir commis une erreur alors qu’elle était de toute bonne foi et de tout bon cœur, qu’elle a été le jouet d’un misérable individu, et qu’elle a tenté de réparer ce qu’elle appelle sa faute, alors qu’elle n’a été que la victime. Comment une société peut-elle être si injuste qu’elle en vienne à blâmer une femme victime au lieu de son bourreau ?

Cette "erreur" aurait pu être commise par un John Mellish, un Talbot Bulstrode, leurs vies n’en auraient pas été entièrement affectées, elle leur auraient été pardonnée par la société, comme ce qu’elle est : une erreur de jeunesse, de jugement, une expérience de vie.

John Mellish est admirable. À mon avis, il représente ce que l’auteure Braddon aurait aimé que soient plus d’hommes de son vivant : son amour est sincère, touchant par qu’à la limite du pitoyable. Il accepte sa femme comme un cadeau immérité et surtout, il est compréhensif envers "son erreur" à tel point qu’il en rejette l’entière faute sur l’homme qui en est responsable.

Finalement, il me vient une petite idée : Mellish et Bulstrode, les deux personnages principaux masculins et bons ont des caractéristiques d’héroïnes féminines : ils sont capables d’un amour aveugle et inconditionnel d’amoureuse, ils sont compréhensifs et savent se remettre en question. C’est sans doute est-ce pour cela que je les ai aimés et que ça ne m’ait pas dérangée que les personnages féminins soient plus secondaires malgré le titre du livre ?

 

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