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Madame de Charrière, Lettres écrites de Lausanne

Mme de Charrière


L’auteure, Isabelle Agneta van Tuyll van Serooskerken van Zuyle, est née en 1740, en Hollande dans une très riche et noble famille. Elle était intelligente, féministe, peu conformiste et belle. Elle était compositrice et musicienne, fut demandée plusieurs fois en mariage, mais Belle de Zuylen était aussi romanesque. Elle n’avait pas bonne opinion du mariage mais, après une passion pour l’oncle de Benjamin Constant, bien plus vieux qu’elle, elle épousa M. de Charrière.

Ces Lettres de Lausanne ou Caliste, sont, sous couvert de roman, un traité sur l’éducation des filles et la condition des femmes. Caliste, personnage qui occupe toute la deuxième partie de ces Lettres, est une histoire dans l’histoire.

Claudine Hermann, qui préface parfaitement cette édition Des Femmes de 1979, en parle très bien, je lui laisse donc la parole :

« L’une des idées intéressantes me paraît être que Caliste soit aimée en remplacement du frère, que la cousine soit épousée à cause de son fils et que la consolation finale soit trouvée dans une promenade touristique avec le jeune lord. On ne peut pas dire mieux que la femme occupe dans la société une position de remplacement où l’amour ne peut être qu’un accident fâcheux. Le plus triste est que le jeune lord, connaissant l’histoire de Caliste, n’en décide pas pour autant d’ épouser Cécile qu’il aime, démontrant par là l’inutilité de la littérature et l’impuissance du récit. »

Germaine de Staël, qui admirait sincèrement les écrits de Mme de Charrière, reprend beaucoup de Caliste pour sa Corinne. Vraiment beaucoup. Mme de Staël prendra aussi le jeune Benjamin Constant amant de Mme de Charrière ! Dans cette histoire, Benjamin Constant est loin d’avoir un beau rôle, cf la préface de Claudine Hermann où le mot « muflerie » est lâché. Mais Mme de Charrière, intelligente et pleine d’humour, a de bonnes réponses.

L’amoureux de Caliste, les amoureux de Caliste, le père, le mari, sous la plume de Mme de Charrière, n’ont pas le beau rôle : ils sont faibles, bornée, plein de préjugés, fats, inconscients. Certes, leur société les a élevé en leur faisant croire qu’ils avaient la science infuse de tout et des femmes. Mais quand même, sont-ils lents ! L’amoureux narrateur de la deuxième partie de ces lettres est d’une faiblesse et d’une mollesse qui m’a tant irritée que j’aurais cessé la lecture, si la plume de l’auteure ne m’avait retenue !

Et Caliste excuse, comprend, s’excuse, pardonne alors qu’elle devrait, et pourrait se permettre d’envoyer tout balader ! mais vivre en dehors de la société demande une force peu commune.

Pour le plaisir de lire la fine et belle écriture de Mme de Charrière, quelques extraits :

Lettre 7 :
« On parle tant des illusions de l’amour-propre. Cependant, il est bien rare, quand on est véritablement aimé, qu’on croie l’être autant qu’on l’est. Un enfant ne voit pas combien il occupe continuellement sa mère. Un amant ne voit pas que sa maîtresse ne voit et n’entend partout que lui. Une maîtresse ne voit pas qu’elle ne dit pas un mot, qu’elle ne fait pas un geste qui ne fasse plaisir ou peine à son amant. Si on le savait, combien on s’observerait, par pitié, par générosité, par intérêt, pour ne pas perdre le bien inestimable et incompensable d’être tendrement aimé. »

Lettre 12 :
« Il ne faut pas vous faire illusion : un homme cherche à inspirer, pour lui seul, à chaque femme un sentiment qu’il n’a le plus souvent que pour l’espèce. »

Lettre 15, parlant des frères jumeaux :
« … en admirant la vivacité d’esprit et la gentillesse du cadet, on aurait voulu qu’il parlât moins, qu’il fût circonspect et modeste, sans penser alors qu’il n’y aurait plus rien à admirer non plus qu’à critiquer chez aucun des deux. On ne voit point assez que, chez nous autres humains, le revers de la médaille est de son essence aussi bien que le beau côté. Changez quelque chose, vous changez tout. Dans l’équilibre des facultés, vous trouverez la médiocrité comme la sagesse. »

Lettre 18, pour consoler d’un chagrin d’amour :
« Au lieu de raisonner, au lieu de moraliser, donnez à aimer à quelqu’un qui aime. Si aimer fait son danger, aimer sera sa sauvegarde. Si aimer fait son malheur, aimer sera sa consolation. Pour qui sait aimer, c’est la seule occupation, la seule distraction, le seul plaisir de la vie. »

Lettre 21 :
« Je ne sentais pas encore que le projet du bien public n’est qu’une noble chimère ; que la fortune, les circonstances, des événements que personne ne prévoit et n’amène, changent les nations sans les améliorer ni les empirer, et que les intentions du citoyen le plus vertueux n’ont presque jamais influencé sur le bien-être de sa patrie ; je ne voyais pas que l’esclave de l’ambition est encore plus puéril et plus malheureux que l’esclave d’une femme. »

« Quoiqu’il n’y paraisse pas toujours, les femmes ont une grande confiance au jugement et au goût les unes des autres. Un homme est une parfaite marchandise qui, en circulant entre leurs mains, hausse quelque temps le prix, jusqu’à ce qu’elle tombe tout-à-coup dans un décri total, qui n’est d’ordinaire que trop juste. »

« Être très pauvre et très jolie, pour une fille, mène à une perte presque sûre et entière. »

Le 21ème siècle doit être féminin ! Gabrielle Dubois©

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